L’achat compulsif touche surtout les femmes. Urbaines de préférence, et autour de la trentaine. L’achat compulsif serait-il la nouvelle épidémie contemporaine ?
Tout en paillettes, et en belles tenues, l’achat compulsif ne se voit pas (sauf par les proches) et fait, de loin, bonne figure. Il s’immisce petit à petit dans nos vies et pervertit nos coquetteries malicieuses en vices pernicieux. Seulement voilà, sous son joli décor, la dépendance au shopping a des conséquences pas auss réversibles qu’on le pense.
Mis dans les rangs des addictions « sans produits », au même titre que l’addiction à internet ou au jeu, l’achat compulsif peut devenir une véritable pathologie.
Selon une étude de 2007, près d’un tiers des femmes évaluées en plein shopping dans un centre commercial parisien souffrait d’achats compulsifs.
Comment distinguer une simple coquetterie d’un achat compulsif ? D’où cela vient-il, et quelles en sont les conséquences ? Voici décrypté pour vous le phénomène de l’accro du shopping. Nous vous avons dégoté quelques pistes et conseils pour se libérer de cette fâcheuse frénésie.
La coquette aime à plaire, se plaire, et à se pomponner. Elle choisira avec soins ses produits de beauté, et optera pour une garde-robe destinée à la sublimer. Impeccable et jolie tous les jours, telle est sa (quasi) priorité. Son budget s’en fera parfois ressentir, mais correspondra le plus souvent à des caprices maîtrisés, adaptés à son idéologie, et destinés à être mis à profit.
Mais, coquette ou pas, on peut un jour ou l’autre basculer du côté sombre de l’achat. Quand la petite ceinture repérée commence à nous obséder, aussi longtemps que l’objet convoité ne sera pas acheté…quand on prend sur son temps de travail à plusieurs reprises pour aller shopper, quand d’autres achats non réfléchis se poursuivent (etc.), on pourra parler de caprices non maîtrisés. La frénésie acheteuse est alors activée.
Achat compulsif : les causes
Plusieurs causes peuvent être à l’origine de l’achat compulsif.
Un appel constant à la surconsommation
Il n’y a pas une cause, mais plusieurs causes à la répétition d’achats compulsifs. A l’instar des troubles du comportement alimentaire, la pression médiatique et publicitaire a très certainement favorisé l’apparition de ce trouble socialement valorisé.
Il est presque impossible de ne pas être influencé par un appel constant à la surconsommation ! La vague de crédits à la consommation, apparue il y a quelques années, n’a fait que potentialiser cette fascination pour l’acquisition en créant l’illusion d’un pouvoir d’achat étoffé.
Non moins responsable : la mode à grande vitesse. Loin de faciliter la gestion de notre budget, elle incite ouvertement à acheter… pour mieux remplacer. De collections éphémères en nouveautés quasi-hebdomadaires, il est difficile de ne pas être tentée ! Observez le turn-over de plus en plus rapide des tablettes et autres smartphones ! La soif de nouveauté ne s’en trouve-t-elle pas stimulée ?
Une fragilité interne
Même si toutes les conditions sont là pour inciter à l’achat compulsif, on ne devient pas tou(te)s accro du shopping pour autant. En réalité, l’achat compulsif survient souvent en réponse à une intolérance à la frustration. Celle-ci peut être associée àune difficulté de gestion des émotions et à un manque de confiance en soi, plus ou moins conscient. À l’instar des addictions, les causes sont donc bien souvent psychologiques, même si la susceptibilité génétique est présumée.
L’achat compulsif peut être le reflet d’une dépression cachée, d’une cyclothymie, d’un coup de blues passager, et d’une estime de soi pas très valorisée. L’objet convoité prend alors le rôle d’un pansement de l’âme. L’acquisition de ce dernier rassure, apaise, et occupe, mettant de côté les émotions négatives.
Certains traits de caractère favorisent également ce type de comportement. L’impulsivité et la difficulté à supporter les frustrations en sont les principaux. Agir dans l’instant sans préméditation est une particularité des acheteuses compulsives, et pas seulement dans le domaine du shopping.
La dépendance aux achats est fréquemment associée à d’autres troubles psychologiques tels que :
- Le TOC (ou Trouble Obsessionnel Compulsif)
- La cyclothymie : une forme atypique de la bipolarité
- La dépendance à internet
- Le Déficit Attentionnel avec ou sans Hyperactivité (TDA/H) chez l’adulte
- La dépression
- La boulimie
Les achats compulsifs font partie des addictions comportementales (ou conduites de dépendance “sans produits”) au même titre que le jeu pathologique, l’addiction à internet et les troubles du comportement alimentaire.
L’objet est différent mais le mécanisme est le même. Selon une étude scientifique, les anomalies neurobiologiques rencontrées chez les acheteurs compulsifs sont similaires à celles rencontrées chez les addicts au jeu. Parmi les molécules concernées par ces altérations à l’intérieur du cerveau, il y a la sérotonine et la dopamine.
L’achat compulsif apparaît donc comme le point d’appel d’une fragilité sous-jacente, transitoire ou prolongée. Et tant que l’on a pas pris conscience ou résolu cette difficulté cachée, la dépendance se perpétuera, pansant maladroitement la plaie.
Achat compulsif : les symptômes
Typiquement, l’achat compulsif se déroule en plusieurs phases, et se manifeste très souvent par les mêmes symptômes.
D’abord, l’envie d’un objet, d’une pièce qui devient obsédante. L’idée de l’acquisition ne pourra alors être écartée, mue par la peur de manquer. Tous les moyens seront recherchés pour obtenir « cette petite robe que j’ai vu dans le métro et qui sera parfaite pour ma soirée ».
Cette mission, qui s’impose à soi sans que rien ne puisse l’atténuer, fera parfois l’objet d’une véritable expédition. Tout sera fait pour parvenir à la boutique avant la fermeture du magasin, même à l’autre bout de la ville.
Excitée, tendue, pressée, le chemin sera ardu. Arrivée à destination, la carte de crédit sera déployée et le summum du plaisir sera activé. Une satisfaction éphémère mais suffisamment intense pour être ultérieurement recherchée… faisant le lit d’une dépendance à venir.
Une fois l’euphorie dissipée, il n’est pas rare d’éprouver de la culpabilité, voire de la honte. Une honte qui mènera parfois à se cacher ou à mentir sur les faits.
Attention, l’achat compulsif n’est pas à lui seul pathologique. C’est son aspect répété et la souffrance qu’il engendre qui doivent alerter. A mesure que l’achat compulsif se répète, la dépendance se crée, et il devient de plus en difficile de se �?sevrer’.
Achat compulsif : les conséquences et les risques
Les conséquences pécuniaires
Les conséquences de l’achat compulsif répété ne sont pas des moindres. On peut être coquette et dépensière mais savoir poser des limites à ses finances. Dans ce cas, c’est un choix. Etre acheteuse compulsive ne l’est pas : les dépenses ne sont plus maîtrisées, et restent même parfois complètement niées… jusqu’à ce que le banquier crie au rouge !
L’acheteuse compulsive vit au quotidien avec… ses découverts, et souffre parfois de dettes conséquentes. Et l’utilisation de crédits à la consommation, parfois solutions de facilité, ne participera qu’à les alourdir.
Ce comportement, bien qu’initialement euphorisant, amènera à moyen terme à des situations parfois irréversibles. Culpabilisantes, ces impasses financières pourront être à l’origine d’une grande souffrance.
Les conséquences personnelles, sociales et familiales
Insidieusement, des conséquences néfastes sur la vie personnelle, professionnelle et familiale, pourront venir pointer leur nez.
Les difficultés pécuniaires peuvent entraîner par elles-mêmes des conséquences personnelles et familiales. De la même façon, la perte de temps occasionnée par des heures d’achats effrénés peut avoir une portée négative sur le travail et la vie de couple : il faudra parfois se fondre en explications devant son concubin ou son boss pour justifier nos heures d’arrivée tardive à la maison ou au boulot. La sensation de honte suites à des achats répétés peut également favoriser une déprime et une perte de confiance en soi.
De projets compromis en conflits conjugaux, en passant par des loisirs abandonnés et des heures de travail tronquées : telles sont les conséquences et les risques de l’achat compulsif.
Achat compulsif : les traitements
Les traitements commencent par la nécessité d’adopter certaines techniques pour limiter l’achat compulsif, de changer certains comportements… seul(e)s ou avec l’aide d’un thérapeute.
- Penser à soi
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’acheteuse compulsive ne prend pas forcément soin d’elle-même. Elle peut consacrer tout son temps libre au shopping, en perdant parfois de vue ses véritables aspirations.
Le shopping démesuré permet de ne pas penser, d’oublier, mais aussi de s’oublier. Les belles choses, comme les difficultés, restent ensevelies et l’on continue à se malmener. Et même si on a allégrement acquis un petit ensemble superbement assorti, il est fort possible que l’on ne se permette même pas de le porter. « Il est trop beau pour le mettre ».
Bref, penser à soi, renouer le dialogue avec votre monde intérieur, vos envies, vos priorités, doit être le leitmotiv de l’acheteuse compulsive qui souhaite retrouver sa liberté !
- Faire ses comptes (régulièrement)
L’acheteuse compulsive, prise dans son ivresse de shopping, ne se rend malheureusement pas toujours compte de ses dépenses. Lorsque l’obsession d’acheter la prend, elle va jusqu’à nier ses finances, qui ne referont surface qu’une fois l’acte accompli. A l’inverse, jeter régulièrement un oeil à ses comptes permet d’avoir une maîtrise plus grande de son argent, et d’éviter de basculer dans l’illusion d’un portefeuille rempli à l’infini.
Faire, et non pas fuir, ses comptes régulièrement apparaît donc être LE conseil pratique de base, en mettant quelques limites à l’anarchie.
Et même si votre compte sourit en début de mois, pensez à toutes vos dépenses du mois ou à venir : loyer, téléphone, activités, week-ends sympas, vacances, projets d’investissement, etc.
Définissez-vous un budget plaisir à ne pas dépasser et usez-le pour des choses qui vous importent vraiment. Enfin, autorisez-vous, si possible à quelques petites économies, histoire de pouvoir mener à plus long terme des projets qui vous tiennent à coeur.
- Payer en espèces
Partant du même principe que le conseil précédent, payer en espèces permet de mieux prendre conscience de l’argent que l’on dépense. Alors que la virtualité de la carte bleue nous le fait oublier. Pire que la carte bleue : le crédit. A éviter !
Prendre conscience de la somme que vous allez payer permettra de mieux vous contrôler, et de respecter plus facilement votre budget.
- En parler
Comme tous les déboires psychologiques qui nous arrivent à tout un chacun, parler tout haut à quelqu’un de confiance reste un principe capital.
Il est parfois difficile de parler de l’achat compulsif, par honte ou culpabilité. Et pourtant, le dialogue avec un proche procure le plus souvent un certain soulagement. Et les conseils donnés par quelqu’un qui vous connaît seront parfois fort précieux.
Enfin, si la souffrance occasionnée par cette addiction est trop importante, si vous souffrez d’un mal-être important, si les rechutes se poursuivent malgré toutes vos tentatives de stopper ce comportement, n’hésitez pas à consulter et entreprendre une psychothérapie.
Si vous souhaitez vous débarrasser rapidement de cette dépendance, optez plutôt pour une thérapie comportementale et cognitive (TCC), dont l’efficacité dans ce trouble a été démontrée. D’autres psychothérapies, proche des TCC, peuvent être intéressantes dans l’achat compulsif : la thérapie motivationnelle, l’ACT, ou encore la mindfulness. En revanche, si vous préférez réfléchir de manière profonde sur le pourquoi de vos fragilités et si la thérapie à long terme ne vous fait pas peur, vous pourrez débuter une psychanalyse ou une thérapie apparentée. N’hésitez pas à faire un tour du côté d’un hypnothérapeute, à la formation confirmée, qui peut enseigner des exercices à pratiquer soi-même en cas de crise…
La psychothérapie sera une aide pour retrouver un épanouissement, cible principale du chemin de sortie des dépendances. Mais n’oubliez pas : l’aide principale doit venir de vous-même, par votre motivation et les moyens personnels que vous mettrez en place pour vous en sortir.
Achat compulsif : Sources et notes
Lejoyeux M, Weinstein A. Compulsive buying, The American Journal of Drug and Alcohol Abuse 2010; 36:248–253
Lejoyeux M, Mathieu K, Embouazza H, Huet F, Lequen V. Prevalence of compulsive buying among customers of a Parisian general store. Compr Psychiatry 2007; 48:42–46
Boutin G. J’achète (trop) et j’aime ça ! : êtes-vous une acheteuse intense, sensuelle ou raffinée ?, Ed. de l’homme, 2005.
Ades J. Lejoyeux M. La Fièvre des achats, Les empêcheurs de penser en rond, 2002.
Auteur : Dr Ada Picard, psychiatre