Avoir un enfant bilingue est le souhait d’un grand nombre de parents. Les choses peuvent se faire plus ou moins naturellement… surtout si l’un des parents est étranger, ou si l’on vit en dehors de la France ou d’un territoire francophone.
A la naissance, tous les enfants sont en principe égaux face à l’apprentissage d’une langue. Ils ont tous les mêmes chances de devenir bilingue. Ce qui influera dans leur développement linguistique, c’est l’environnement dans lequel ils grandiront jusqu’à leur cinq ans.
Avant cet âge, un enfant est incapable de faire la différence entre deux langues vivantes. Il les assimilera donc de la même manière, comme une seule et même langue maternelle. Il en sera de même pour une troisième langue.
Passé ce cap, l’enfant qui aura intériorisé une langue considérera la deuxième langue comme une langue étrangère. Le cerveau ne réagira donc pas de la même manière entre ces deux langues.
Quel que soit l’âge auquel votre enfant apprendra une seconde langue, des solutions existent pour qu’il apprenne et maîtrise cette autre langue. Ecoles internationales, cours de langues réguliers, lui parler constamment dans votre langue d’origine…
Ce dossier donne pleins d’infos et de conseils pratiques qui pourront vous aider pour que votre enfant devienne bilingue.
Auteur : Ladane Azernour-Bonnefoy.
Consultant expert : Barbara Abdelilah-Bauer, linguiste et psychosociologue.
Dernière actualisation : juillet 2011
Enfant bilingue : les conseils de notre expert
Barbara Abdelilah-Bauer (linguiste et psychosociologue), fondatrice de l’association des enfants bilingues et du café bilingue. En tant que spécialiste de cette question, dans cette interview, elle nous livre certains précieux conseils…
Doit-on faire un choix de langue pour le bilinguisme ?
Non, bien sûr que non. On n’a pas à faire de choix quand on parle de bilinguisme précoce. Les langues ont toutes la même valeur lorsqu’il s’agit de la langue maternelle. Une mère qui parle avec son bébé, quelle que soit cette langue, de l’arabe ou du breton, ne va pas se dire : je dois parler français. Il n’est pas nécessaire de faire un choix. On doit parler sa langue maternelle ou la langue dans laquelle on se sent le mieux avec son bébé. Car, outre les mots et la grammaire que l’on transmet, il y a aussi la tradition et l’histoire que l’on fait passer.
Ce choix -là est parfois imposé quand des parents monolingues veulent apprendre une autre langue à leur tout-petit. Souvent c’est l’anglais qui prime, car c’est ce que l’on retrouve le plus souvent dans les crèches et les écoles. Mais sinon, il n’y a pas de priorité d’une langue qui serait plus noble que l’autre. L’enfant baignant dans un milieu multilingue, va apprendre toutes les langues, comme si c’était sa langue maternelle.
Quel est l’âge idéal pour acquérir une seconde langue ?
La question ne se pose pas pour un enfant né dans une famille mixte. Il faut lui parler les deux langues dès la naissance, il n’y a pas d’âge idéal à ce moment-là, car le bilinguisme s’acquiert comme une seule langue maternelle. Si, par exemple, l’enfant qui vit en France, est dans une famille monolingue (autre que le français), il peut commencer à apprendre le français dès la naissance avec une nounou, ou à la crèche, plus tard à l’ école maternelle.
Jusqu’à 5 ans environ, l’enfant va acquérir cette 2ème langue de manière intuitive et naturelle sans s’en rendre compte, comme s’il s’agissait de sa langue maternelle. Bien évidemment, cela se fait en mettant en place des interactions, pas en le mettant devant une émission de TV, par exemple.
Après 5 ou 6 ans, l’apprentissage de la deuxième langue se fera autrement. L’enfant a suffisamment acquis la 1ère langue pour savoir très bien s’exprimer. Il va alors aborder une nouvelle langue comme une langue étrangère. On parle alors d’apprentissage de cette seconde langue. En effet dans ce cas-là, il va comparer ce qu’il apprend avec ce qu’il connaît de la première langue. Le mécanisme d’acquisition est différent : il va essayer de comprendre des mots, puis faire des phrases, etc.
Il n’y a pas d’âge critique, on peut apprendre à tout âge. C’est la manière d’apprendre qui est différente.
A partir de quel seuil de compréhension/communication dans une langue parle-t-on de bilinguisme ?
On distingue le bilinguisme actif du passif. Ce dernier concerne un enfant qui entend deux langues dans son entourage et les comprend très bien, mais qui n’éprouve pas la nécessité de reproduire la 2ème langue et donc parler cette langue. Cela peut arriver à partir du moment où dans son environnement, tout le monde comprend ce qu’il dit. Prenons l’exemple de la France où la langue dominante est le français, et la seconde langue, la langue de la famille.
En revanche, on a constaté bien souvent, lorsque l’enfant se retrouve dans le pays de la 2ème langue, avec de la famille qui ne parle que cette langue, il va développer cette capacité de la parler.
Attention, il ne faut pas s’attendre que les enfants soient bilingues actifs dès le premier jour. Il faut être plongé dans ce milieu pendant au moins quelques temps : ça peut aller de quelques jours à quelques semaines. En dehors de cela, l’important dans l’univers dominé par le français, est de maintenir au moins la capacité de compréhension, en créant un environnement où les enfants entendent l’autre langue et leur donner des matériaux : livres, dvd, musique…
La mode est au bilinguisme : est-ce une bonne chose d’inscrire ses enfants dans des structures d’apprentissage hors du contexte familial ?
Oui, ça peut apporter quelque chose. Mais il faut savoir qu’acquérir une seconde langue ne se fera pas avec des séances d’une heure par semaine. C’est un processus lent et il faut que l’apport de cette deuxième langue soit régulier et suffisamment intense. Ceci exclut d’emblée tous les ateliers qui se font une fois par semaine. En revanche, une école bilingue, avec idéalement une moitié de cours dans une langue et l’autre dans la deuxième langue, serait une bonne façon d’apprendre. Toutefois, même avec deux heures par jour, on peut espérer apprendre des choses dans l’autre langue. Parce qu’il faut savoir que les enfants n’apprennent pas la langue mais apprennent des choses dans une autre langue. C’est la différence.
En fait, tout dépend ce qu’on attend de ces apprentissages précoces. On ne peut pas faire aux parents des promesses comme celle de devenir bilingue en ayant une heure de cours le mercredi après-midi. Toutefois, pratiquer une deuxième langue, même à petites doses, les fait réfléchir, leur fait prendre conscience et améliorer leur propre langue. L’autre avantage consiste à rendre familière une langue étrangère pour plus tard.
Est-ce que les enfants de deux parents monolingues, peuvent devenir bilingues ?
Oui c’est possible, notamment s’ils ont une nounou qui leur parle une autre langue. Ou s’ils vont dans une école bilingue, mais au moins de la maternelle jusqu’au bac. En effet, tout dépend de la définition du bilinguisme. Le bilingue parfait ou équilibré n’existe pas. Donc oui, un enfant qui baignera dans un milieu avec une deuxième langue, même avec des parents monolingues, sera toujours plus bilingue que celui qui aura appris sa deuxième langue au lycée. Il faut retenir que cela ne se fait pas en 2 ou 4 ans, il faut aller au minimum jusqu’au lycée.
Enfant bilingue : comment apprendre deux langues ?
Avant de commencer à parler deux langues, l’enfant doit commencer par les apprendre !
Lorsque les parents s’extasient du premier « mama » de leur bébé de six mois, il s’agit en réalité d’une production de sons.
Ces babillages échangés avec leur entourage se transforment peu à peu en mots, entre 11 et 13 mois (âge du premier mot). Vers 2 ans, l’enfant commence à former des phrases, et à 3 ans, l’échange avec l’entourage devient de plus en plus complexe.
Qu’est-ce qu’être bilingue ?
Etre bilingue correspond au fait de comprendre et de s’exprimer au minimum dans deux langues, voire plus. A sa naissance un bébé a des capacités extraordinaires d’apprentissage. Il est capable de distinguer et d’enregistrer des phonèmes (les sons) différents de sa langue maternelle.
Toutefois, il faut savoir que c’est rare qu’un bilinguisme dit « équilibré » se développe. Le bilinguisme équilibré consiste à avoir un niveau de maîtrise égal pour les deux langues. Il y a en général toujours une langue qui domine l’autre. Chez les enfants, c’est même totalement exceptionnel d’observer le même niveau de langage.
Le cerveau d’un enfant bilingue
Le cerveau humain a une zone où est traité le langage, et qui est appelée l’ « aire de Brocca ». Vue à l’IRM, cette zone « s’allume » quand vous parlez. Pour une personne bilingue de naissance, cette zone s’allume de manière entremêlée quelle que soit la langue parlée.
Pour les personnes qui ont acquis une deuxième langue plus tard, la zone de la première langue et celle de la deuxième langue sont cloisonnées de façon distincte et finalement, la deuxième langue n’est plus acquise comme une langue maternelle, mais comme une langue apprise plus tard.
Enfant bilingue : tous les enfants peuvent-ils être bilingues ?
Les mêmes chances pour tout le monde ?
A la base tous les bébés ont les mêmes capacités d’apprentissage de plusieurs langues. Pas forcément parce qu’ils sont tous doués en langue, mais parce qu’ils ne font pas de différence entre les langues parlées. A la naissance, la plasticité naturelle du cerveau du nouveau-né lui permet d’apprendre aisément plusieurs langues comme s’il faisait simplement l’acquisition du langage dans sa langue.
Au départ, l’enfant se familiarise avec les phonèmes (les sons) qui sont spécifiques à chaque langue. Puis, il les pratique en les restituant. Plus tôt débute l’apprentissage, mieux ce sera. En effet, à partir de 3 ans, les petits commencent à perdre leurs capacités de fidèle restitution.
Etre bilingue plus tard ?
Au fur et à mesure que l’enfant grandit, il intègre les règles sociales et se fabrique un blocage dicté par ces conventions qui risquent de le gêner dans sa spontanéité. En effet, outre les difficultés d’acquisition que requiert l’apprentissage d’une nouvelle langue, cela suppose de ne pas se sentir embarrassé à l’idée de parler une langue de façon incertaine. Or, à partir d’un certain âge, les enfants/ adolescents évitent au maximum d’être en situation qui pourrait les mettre en défaut…
Par ailleurs, parler une autre langue demande de pratiquer un type de mimétisme, ne serait-ce que pour avoir un accent qui se rapproche au maximum du natif. Plus on attend, plus il est difficile d’acquérir ces phonèmes. C’est également une question de structure anatomique. Les articulations de la mâchoire finissent par se figer dans la seule langue parlée et auront moins de souplesse dès lors qu’il faudra acquérir d’autres sons, d’autres prononciations.
Etre bilingue… et ensuite ?
Parler plusieurs langues dès l’enfance permet au cerveau de s’exercer et de conserver une élasticité qui aidera plus tard à l’apprentissage éventuel d’autres nouvelles langues. Cette prédisposition permet à ces enfants d’apprendre une troisième (ou quatrième, voire une énième) langue beaucoup plus rapidement et de manière plus intuitive, un peu à l’instar des gens natifs du pays.
Il a été remarqué que les enfants bilingues présentent une ouverture d’esprit et une curiosité très développées. Cela est probablement dû au fait de vivre dans une famille où le respect des cultures différentes a abouti à l’acceptation d’une autre langue que la maternelle. Cela les pousse naturellement à s’enrichir des cultures différentes et de les intégrer tout aussi naturellement à leur mode de vie et à leur quotidien.
Enfant bilingue : nos conseils
Les enfants ont des capacités d’adaptation incroyables, toutefois il y a quelques écueils à éviter si vous souhaitez que votre enfant parle plusieurs langues.
Voici certains conseils pour aider votre enfant à devenir bilingue :
> Vous êtes un couple mixte : restez naturel avec votre enfant, parlez-lui la langue dans laquelle vous pouvez transmettre des émotions. La règle “un parent – une langue” n’est pas réaliste, ni réalisable. Dans la vie de tous les jours, il arrive souvent que vous deviez changer de langue avec votre enfant. Ce n’est pas grave ! Il n’existe aucune étude scientifique prouvant que la méthode “un parent-une langue” est la bonne.
> Vous parlez la même langue, mais vous vivez dans un pays étranger : parlez-lui votre langue, il apprendra très vite et sans votre aide, la langue du milieu dans lequel il baigne.
> Vous êtes un couple mixte et vous vivez dans un pays différent de vos langues respectives : ne craignez pas la confusion, parlez chacun votre langue à votre enfant. Il apprendra la 3ème langue avec autant de facilité que les deux langues que vous lui parlez.
> Même si vous ne parlez pas votre langue maternelle à la perfection, mais que vous savez tenir une conversation, parlez-lui dans cette langue. L’apprentissage des sons et des mots ne passe pas uniquement par un vocabulaire exhaustif. Parmi les conseils importants à connaître : parler une langue doit être lié à une très grande affectivité, et c’est le cas si vous murmurez des mots doux ou des berceuses apprises dans l’enfance à votre bébé.
> Il n’existe pas de langue ” noble “, si vous pouvez permettre à votre enfant de baigner dans un milieu linguistique différent, faites-le, si vous souhaitez à votre enfant de parvenir au bilinguisme. La plupart des crèches/écoles bilingues sont onéreuses et pas forcément à la portée de toutes les bourses, mais il y a d’autres moyens d’apprendre à parler une autre langue que le français.
Autre méthode : si vous faites garder votre enfant par une assistante maternelle ou une nounou étrangère, demandez-lui de parler à votre enfant dans sa langue maternelle.
Enfant bilingue : témoignage de Ludmilla, 32 ans
Témoignage de Ludmilla, 32 ans, est Russe. Elle est la mère de Sacha, 6 ans ; et de Tanya, 4 ans, qui parlent le Russe et le Français…
Vos enfants sont-ils bilingues ?
Je ne sais pas si je peux dire cela. Alexandre et Tanya comprennent parfaitement tout ce que je leur dis. L’année dernière, Alexandre est allé passer des vacances chez mes parents à Saint-Petersbourg. Bien sûr, j’aimerais bien que mon premier enfant devienne bilingue, puis ensuite mon deuxième… Quand Alexandre est revenu de Russie, il parlait parfaitement. J’en ai déduit que dans des conditions où il n’avait pas d’autres choix que de parler russe, il l’a fait et plutôt bien.
Entre temps, il a passé les vacances de la Toussaint avec mes beaux-parents et depuis il refuse de dire un seul mot en Russe et quand je lui parle, il me répond qu’il ne comprend pas…
Etes-vous la seule à leur parler russe dans la famille ?
Oui. J’ai deux amies russes. Une seule a un bébé. Nous nous voyons de temps en temps, mais souvent en famille et nous parlons alors français. J’essaie de créer un environnement russe en chantant à mes enfants des chansons que j’ai entendues lorsque j’étais petite. Avec Internet c’est plutôt facile de trouver des comptines. Je leur raconte des histoires dans ma langue maternelle. Il faut avouer que c’est un peu difficile de leur apprendre le russe.
Le papa est Français, l’école est française, nous vivons en France… L’occasion de leur parler russe se retrouve uniquement lors de mes activités quotidiennes avec eux. Dès que le papa est là, je parle français afin de ne pas l’exclure.
Rencontrez-vous des réticences en général ?
Oui et c’est ça qui est étonnant… Quand j’étais petite, ma grande tante me racontait que sa propre mère enseignait le français dans certaines familles russes. A l’époque, parler une langue supplémentaire était un plus en Russie. Aujourd’hui, je remarque le regard étonné de certaines personnes lorsque je parle à mes enfants. Comme si parler une langue autre que le français était une excentricité.
La maîtresse de moyenne section de mon enfant m’avait même prévenue des « risques » de mélanger les langues, et de l’importance d’attendre avant de lui parler autre chose que le français. Ceci fait que parfois mes enfants sont gênés quand je leur parle russe dans le bus. Pour ne pas les embarrasser, je parle français à ces moments-là, avec l’impression de me trahir… Ce n’est pas facile.