Ados : que faire quand on est parent ?

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Pourquoi il est si difficile aujourd’hui d’être parent ? Comment poser des limites à son adolescent dans le monde d’aujourd’hui ? Selon le Pr Marcel Rufo, célèbre pédopsychiatre, la première chose à faire serait de… cesser vouloir leur plaire. Mais pas seulement.

Est-il plus difficile aujourd’hui qu’hier d’être parents d’adolescents ?

Oui ! Mais pour des raisons qui ne tiennent pas aux adolescents eux-mêmes. Les parents se retrouvent souvent dans des positions infernales. D’abord parce qu’eux-mêmes traversent une crise : celle du milieu de la vie. Résultat : les deux crises, adolescence-milieu de vie, se conjuguent ! Mais aussi parce que nous vivons dans un culte de la jeunesse. Nos modes de relations avec les enfants ont complètement changé : l’autorité “une et indivisible” du pater familias, c’est terminé ! Du coup, les parents oscillent entre être le parent-copain – ce que je récuse ! – et une grande rigidité.

Comment définiriez-vous l’adolescence ?

L’adolescence, c’est le retour à la réalité. Après l’émerveillement de l’enfance, les jeunes découvrent la désillusion sur soi (je ne deviendrai pas cosmonaute) et sur les parents (je pensais que mon père était le plus fort du monde…c’est faux.). Cette découverte fondamentale entraîne des attitudes qui peuvent aller à l’excès : ce sont les scarifications, les addictions, l’anorexie. Se faire du mal, c’est extérioriser un mal-être intérieur.

Aujourd’hui, il y a une caractéristique de l’adolescence qui, d’après mes observations en consultation, s’est aggravée : c’est la violence. Et paradoxalement, cette violence provient sans doute d’un excès de bien-être, de bonheur. Nous sommes dans une société privilégiée. Alors pour éprouver leur réalité, certains adolescents tentent de faire du mal, de se faire du mal.

Alors, comment doit-on s’y prendre avec ses ados ?

J’emploie volontiers l’expression suivante : les parents doivent devenir les “supporters” de leurs enfants : encourager, soutenir leurs enfants, exactement comme peuvent le faire les fans d’une équipe de foot. Il leur faut changer de statut parental et passer du parent tout-puissant du petit enfant, au parent à qui l’adolescent peut s’adresser pour demander de l’aide.

On n’est pas parent de la même manière tout au long de la vie. Être parent, c’est être plastique, c’est à dire savoir s’adapter aux changements de son enfant.

Alors faut-il accepter beaucoup, prendre sur soi, ne pas mettre de limites ?

Pas du tout ! Au contraire : les adolescents ont absolument besoin de radicalité. Cette radicalité, cette fermeté, ces limites, ils doivent s’y heurter chez leurs parents ; être supporter ne veut pas dire supporter !

Il y a deux choses : d’une part, les parents doivent indiquer les limites éducatives, “tu ne vas pas jusque là”, “ça, je te l’interdis”, et être cohérent dans leurs interdits. S’il y a transgression, il y a une réponse, une sanction. Sinon, on met l’adolescent dans une situation paradoxale et anxiogène.

Ces limites ne sont pas seulement celles qu’on impose à l’adolescent, ce sont aussi les siennes, en tant que parent, qu’individu. Il faut leur dire “Je ne supporte plus l’image de toi que tu me donnes (dans le cas des anorexiques, par exemple), je ne l’accepte pas”, ou encore “je ne marche pas” dans la connivence par rapport au cannabis.

Des parents semblent avoir peur de déplaire à leurs enfants ?

En effet, aujourd’hui des parents ont peur de ne pas être aimés par leurs enfants, peur de les traumatiser… Alors ils anticipent les désirs, ils tentent de “plaire” à leurs enfants. Mais attention, un parent qui “comprend” le refus d’un enfant en mal-être à se faire soigner, exprime un amour mal compris, un amour qui ne peut qu’être néfaste pour l’adolescent. Il faut au contraire que les parents acceptent pour bien aimer, de ne pas être aimés… du moins de temps en temps.

Des parents seraient-ils dans un rapport de séduction avec leurs enfants ?

Les parents doivent éviter “d’érotiser” leurs relations avec leurs enfants, en cédant à la tentation de demeurer eux-mêmes des adolescents. Quand on est parent, on n’est pas dans la séduction. Dans les familles recomposées, par exemple, il existe un danger d’exposition de l’amour entre les parents.

Ce qui protège les enfants, c’est la pudeur des parents. Les adolescents ne doivent pas connaître la vie sexuelle de leurs parents, pas plus que l’inverse, d’ailleurs. La mise à distance permet aux adolescents de pouvoir construire leur propre sexualité, sans être troublés.

Quels signes doivent inquiéter les parents ?

Une fille qui fait un régime au mois de mai pour se mettre en maillot de bain en été, ça n’a rien d’inquiétant. Un régime n’est pas un signe d’anorexie. En revanche, lorsqu’on voit la fille se mettre à compter les calories, à éliminer tel ou tel type d’aliment, autrement dit, à entrer dans une sorte de démarche quasi scientifique de son alimentation, le tout accompagné d’une rapide perte de poids, 5 kilos en deux semaines, alors là, on doit être en alerte.

Autre chose, importante : si on voit la jeune fille maigrir, alors qu’elle-même se plaint de ne pas y arriver, il y a présomption d’anorexie.

Alors, que doivent faire les parents ?

Les parents doivent réagir vite, se mettre dans le coup, prendre leur rôle de parent en mains et ne pas rester dans la compréhension. Il ne s’agit plus de comprendre, il s’agit de soigner, et vite. L’anorexie est une maladie grave. Il faut que les parents entrent dans une démarche médicale. Est-ce qu’on se demande si on va faire soigner son enfant s’il est atteint d’un cancer ? Sûrement pas ! Alors, il faut consulter : son généraliste, un endocrinologue, peu importe. Il n’est même pas indispensable de voir un psy dans un premier temps. En revanche, il faut surtout se méfier d’une trop grande compréhension, d’une complicité de la part du médecin. Les anorexiques sont de grands manipulateurs.

Que dire à l’ado ?

Il faut dire : “écoute, nous on ne te comprend plus. On voit bien que ton attitude n’est pas normale, que tu te fais du mal. Alors, on va aller consulter”. Et il faut y aller ! Et si l’adolescent ou l’adolescente refuse ? Eh bien, on y va quand même ! Même de force : on se fait aider par le frère, l’oncle, ce qui compte, c’est d’investir son rôle de parent responsable.

Le bien pour un enfant passe parfois d’abord par un “mal”, ou tout eu moins une contrariété, pour lui.

La mode des piercings et tatouages inquiète les parents. Quand faut-il intervenir, voire interdire ?

La réponse est arithmétique et géographique ! Un piercing, ça va. Douze piercings, c’est pathologique. Un piercing à la narine, ça va. A la langue, ou sur la paupière ou dans les régions génitales, cela pose un vrai problème. Celui de la mutilation. Si pour se faire beau, on se fait mal, ce n’est pas normal.

Le problème est le même pour les tatouages : tout dépend du nombre, de l’endroit, et j’ajouterais de leur signification. Des textes agressifs tatoués, cela indique un malaise, un couteau tatoué au-dessus du sexe, ce n’est pas normal… Vous voyez ? Il s’agit d’une instrumentalisation du corps, de son corps…

Les parents ne doivent pas accepter. Il doivent opposer une barrière. “Tu te fais du mal, avec ces piercings, ces tatouages. On ne va pas te laisser te faire du mal”. Une consultation s’impose, en pédopsychiatrie.

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